texte exposition « sauvage » Marguerite Pilven 2015

Abel Pradalié et Sébastien Pasques, Sauvage

Peut-être est-ce parce qu’elle se développe essentiellement au contact de la nature que l’œuvre du peintre Abel Pradalié et du sculpteur Sébastien Pasques partage une recherche d’effets sensibles productrice de sensations. Retrouver un temps « la vie sauvage » consisterait pour eux à entrer de plain pied dans la matérialité des êtres et des choses.
Une prédominance de la touche et du modelé sur le trait caractérise la peinture d’Abel Pradalié. En s’inscrivant dans une tradition paysagiste, il poursuit le sillage d’un genre qui a contribué à émanciper la peinture de la clôture de l’atelier et de ses modèles en plâtre pour lui faire prendre la clé des champs, confronter le regard et le geste du peintre à la vitalité du motif. Son approche intime du territoire est nourrie par le compagnonnage des maîtres de la peinture ainsi que par un goût marqué pour l’Antiquité avec laquelle il se familiarise dès l’enfance en glanant ses vestiges sur les terres de Montpellier, dans l’Herault, notamment l’esthétique païenne de la culture romaine. Les éclats de chair zébrant la palette obscure et sylvestre de ses sous-bois inscrivent l’apparition fugace de baigneuses pratiquant telles des Nymphes leurs ablutions loin des hommes. Par leur cadrage serré, ces peintures donnent l’impression d’un fragment volé, ou de la fixation d’un moment privilégié du regard. Dans la série Damien, il semblerait que la matière vienne d’abord et les figures ensuite, pour convertir ces purs moments de peinture en esquisses de paysage, creuser l’espace du tableau, donner la mesure de la puissance de la nature et de son infinité. Dans des compositions plus monumentales, le paysage devient la toile de fond d’une composition faisant dialoguer nature et culture autour de scènes de chasse, fouilles archéologiques et scénarios faisant se côtoyer références picturales et vécu personnel, réalité et fantasme.
Familier du monde animal, Sébastien Pasques travaille la terre, le bois et le fer pour donner corps à un bestiaire fantastique. Réalisés pendant ses années d’études, les deux gorilles coulés dans le bronze ont d’abord été sculptés selon la technique de la taille directe, par extraction de la figure dans le volume du bois. Le métal est aujourd’hui son matériau de prédilection, et particulièrement le bronze, malléable à volonté, dont la transformation par le feu permet de multiples effets de coloration et de patine. Passionné par l’histoire naturelle et l’anatomie comparée, ce manipulateur de formes rapproche ses recherches de celles du généticien puisant dans des corps existants les éléments d’organismes nouveaux. Les crânes de mammifères, branches et débris industriels qu’il trouve lors de ses promenades sont autant de fragments qu’il métamorphose pour leur donner une nature seconde. Son univers oscille entre sublimation et visions inquiétantes. Il interroge la mainmise de l’homme sur la nature, explore l’ambiguïté de l’acte de création, à la fois producteur et destructeur de formes.
Marguerite Pilven