Entretient avec Anne Malherbe

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Dans l’atelier d’Abel Pradalié

Se trouver dans l’atelier d’un artiste est un moment privilégié, riche et inspirant. Les « Entretiens en atelier » sont une rubrique pour laquelle des artistes ont gentiment accepté de me livrer quelques secrets d’ateliers. Aujourd’hui c’est Abel Pradalié qui se prête au jeu.

J’ai découvert la peinture d’Abel Pradalié de fil en aiguille, et non pas directement en galerie ou dans une exposition. Ç’a été une vraie joie que de découvrir ce peintre passionné, qui nous fait aujourd’hui entrer avec cette même passion dans sa vie d’artiste.

Nom Pradalié

Prénom Abel

Date et lieu de naissance né le 29 juillet 1970 à Montpellier

Vit et travaille à Paris

Les œuvres

Peux-tu en quelques mots décrire l’apparence de tes œuvres?

Mes œuvres sont figuratives, Baroques, colorées (avec du sexe, du mystère, du suspense).
Le sujet en est le rêve éveillé ou une sorte de conte réaliste.
La technique est la peinture à l’huile, l’aquarelle, l’eau forte (gravure)

La genèse

D’où t’est venue l’envie d’être artiste ?

Mon père est artiste, j’ai donc été confronté très jeune à l’univers de la peinture mais le point de départ de l’envie d’être peintre est venue de deux œuvres :
- Le pont de Narni, petite peinture qui se trouve au Louvre et que Corot a peinte sur le motif en Italie,
- et le film de Peter Greenaway, Meurtre dans un jardin anglais, vu à peu près à la même période.

Comme je suis un peu maniaque avec les choses que j’aime et que j’ai envie de les vivre de l’intérieur, je me suis mis à peindre et à dessiner sur le motif une multitude de petits formats et cela a été le point de départ de mon travail de peintre (c’est amusant car je m’aperçoit en écrivant cela que ma série de tableaux actuels a de nombreux rapports avec ce film vu il y a plus de 20 ans).

Ce film, dans ma mémoire, fait ressentir le plaisir de dessiner comme cela a rarement été montré au cinéma ; il traite aussi de la fixité et du mouvement d’une image.

Qu’est-ce qui fait que tu as choisi ces sujets ?

Le choix des sujets s’est fait petit à petit : un tableau est presque toujours une réaction ou un approfondissement des pistes trouvées dans le précédent. Le sujet est avant tout un moyen de faire de la peinture.

A l’adolescence, j’ai énormément été au Louvre, d’abord pour voir de l’archéologie, puis la peinture des XIXe, XVIIIe et XVIIe siècles (dans cet ordre), et il y a dans mon travail beaucoup de références à la peinture ancienne. Par ailleurs, depuis quelques années (suite à un accident cérébral), je rêve régulièrement de tableaux : cela m’intéresse de mettre en forme ces visions qui sont des sortes de mixtes de l’imagerie collective et d’éléments personnels très picturaux et mythologiques.

Et ce médium ?

La peinture à l’huile ou l’aquarelle sont des mediums très simples, qui ne nécessitent pas un matériel très lourd (par comparaison avec la vidéo ou l’installation), et ces mediums ne sont pas trop assujettis à des problématiques techniques. Mais c’est aussi très amusant de poursuivre une sorte de quête de la représentation millénaire et d’accéder à des préoccupations qui sont le propre des peintres depuis toujours.

Peux-tu raconter ton parcours dans le milieu artistique ?

Comme je l’ai dit tout à l’heure, je suis fils d’artiste, j’ai donc croisé très jeune différents artistes de la génération de mon père et vu beaucoup de leurs expositions (Vincent Bioulès, Claude Viallat, le sculpteur Raymond Mason et d’autres) ; j’ai par la suite beaucoup peint de paysages sur le motif jusqu’à mon entrée aux Beaux- arts de Paris.

Je suis entré dans l’atelier de Jean-Michel Alberola, qui a vu avec beaucoup d’intérêt mes petits paysages sur le motif un peu anachroniques, il faut le dire, par rapport à l’ambiance générale des ateliers à ce moment- là ! Vladimir Velickovic m’a lui aussi encouragé dans ma démarche de peintre.

J’ai rencontré pendant cette période plusieurs camarades qui faisaient de la peinture : des artistes comme Karine Hoffman (ma compagne), Axel Pahlavi, Ronan Barrot, Duncan Wylie, Youcef Korichi, Natacha Ivanova, Farah Atassi faisaient partie de cette génération.

S’il y avait des peintres aux Beaux-arts de Paris, ils n’étaient à l’époque pas très nombreux et l’on peut dire que notre génération a amorcé le retour de la peinture. J’ai, par la suite, travaillé avec la galerie Vieille du Temple : là aussi, peu de galeries montraient la peinture de jeunes artistes, j’insiste là-dessus car on ne se rend plus très bien compte aujourd’hui du contexte de ce moment-là. J’ai ensuite travaillé avec la galerie Iragui, à Moscou qui m’a permis de faire plusieurs expositions très intéressantes en Russie, parfois avec les camarades cités ci-dessus.

Enfin, dernièrement, j’ai travaillé avec la galerie Françoise Besson, à Lyon, qui a eu, à une période, un certain nombre d’artistes dont j’aime beaucoup le travail (Jean-Xavier Renaud, Patrice Giorda, Frédéric Khodja) et où j’ai fait de belles rencontres.

La création

Comment organises-tu ta journée d’artiste ? quel est ton rythme de travail ?

Je me lève, me lave et je vais à l’atelier !

Je vais à l’atelier à pied : cela prend une vingtaine de minutes, durant lesquelles je peux réfléchir à mon tableau. J’aime beaucoup marcher en ville ; j’ai lu quelque part que Manet faisait de même : ça ne doit pas être mauvais! Une fois à l’atelier, je mets de la musique ou la radio et je bois un café pour me mettre en route. Le type de musique dépend de l’humeur du moment et du tableau que je fais. J’ai beaucoup écouté d’opéras qui me permettent d’avoir une longue plage musicale sur un même thème. J’essaie de faire une journée complète de travail, même si elle n’est pas nécessairement sur la toile! Il est finalement assez rapide de couvrir une toile, il est beaucoup plus dur de faire les bons choix par rapport à la multitude de possibilités qui s’offrent à soi ! La gravure est pour moi exactement l’inverse, car le temps de remplissage est très long (avec une aiguille) et ce temps permet de réfléchir au dessin pendant l’exécution.

De plus j’aime travailler dans le frais (à l’huile), pour que les pattes et les touches se mélangent sur la toile : du coup, je préfère recommencer certaines parties plusieurs fois plutôt que d’empiler les couches. Ce qui fait que mes tableaux sont souvent commencés dans le calme et terminés dans une sorte de frénésie.

A quoi ressemble ton atelier ? Y passes-tu tout ton temps ?

Mes ateliers, car j’ai aussi un atelier en Bourgogne, sont simples, assez vides, avec quelques photos personnelles et des reproductions de tableaux qui me stimulent pour mon travail. Un ou deux de mes tableaux y sont exposés : ceux auxquels je me réfère par rapport au travail en cours. J’utilise depuis toujours des palettes que je nettoie à la fin de chaque séance (je déteste les palettes croûteuses).

Ce sont des petits ateliers mais avec le recul nécessaire pour faire des grands formats. L’espace finalement m’importe moins que l’intimité ; je déteste par exemple partager un atelier avec plusieurs personnes! Je ne suis pas spécialement prude mais, en ce qui concerne la phase de création, je me sens vraiment tout nu.

Qu’est-ce qui fait que chaque matin tu trouves la motivation de te mettre au travail ?

Le projet que je réalise, l’envie de terminer quelque chose. La peinture est très addictive : avant de travailler, j’ai l’impression de partir à l’aventure, et quand je travaille, je suis dans l’aventure — alors je ne sais pas si on peut parler de motivation, c’est un terme un peu bureaucratique, il me semble.

Le privé

Echanges-tu souvent avec d’autres artistes ? Que vas-tu chercher dans ces échanges ?

Oui
Il y a deux sortes d’échanges entre artistes: les échanges sur le métier et la carrière, et les échanges sur l’art (cinéma, livres, peinture, sculpture etc..).
Même si les premiers sont intéressants, utiles, rigolos et parfois cruels, les deuxièmes sont plus nourrissants pour la création : ce sont aussi les plus rares, ceux que je partage avec des artiste avec lesquels j’ai une vraie intimité.

As-tu une passion secrète ?

J’ai plusieurs passions, pas spécialement secrètes, plutôt des sortes de marottes qui se cristallisent dans des périodes données. J’en ai parlé plus haut, ma passion pour l’archéologie me suit depuis l’enfance. J’ai ramassé beaucoup de vestiges dans les vignes du Sud de la France, ce qui m’a conduit à collectionner les antiquités, à fréquenter les musées archéologiques et les salles de ventes. Je peux, sans me vanter, dire que j’ai un véritable œil pour trouver des choses à la surface du sol. Cette passion est effectivement présente dans ma peinture par l’esthétique païenne de l’esprit romain. Mais aussi, d’une façon formelle, puisque j’ai réalisé plusieurs tableaux dans lesquels étaient représentés des chantiers de fouille.

Plus largement, le mélange de strates temporels et l’idée de mixte esthétique me tient à cœur. Dans notre monde ultra numérique, les tableaux du Louvre, par exemple, font encore partie du patrimoine visuel collectif !

Je suis aussi très collectionneur : je collectionne par exemple les gravures anciennes (XVIIe siècle), les photos érotiques des années 80, les insectes épinglés, les silex préhistoriques et autres… Ces mini-collections sont très souvent reliées à des choses que je recherche dans ma peinture et qui contribuent à mon inspiration. J ‘aimerais d’ailleurs un jour présenter une sélection de ces objets avec mes peintures pour mettre en évidence leurs rapprochements.

En plus de ton travail artistique, exerces-tu une autre activité professionnelle ?

Je donne des cours de peinture et de dessin dans une école municipale de Beaux-arts. Il y a deux faces a cette médaille : d’un côté cette notion de transmission, de savoir, est assez belle et le contact avec le monde extérieur à l’atelier est enrichissant ; pour le côté sombre c’est autant de moment qui ne sont pas passé à l’atelier.

Comment conciles-tu ta vie privée et ton travail d’artiste ?

Il est difficile de mettre de côté la journée de création, une fois qu’elle est finie, surtout en vivant avec une artiste ! C’est un peu de la création à flux tendu ! Il faut passer à autre chose. Cet autre chose finit toujours par être relié à mon univers personnel (voir un film, aller au Louvre avec mon fils, prendre mes enfants en photo), alors il ne faut pas s’en priver !

Les références

Quelles sont les références artistiques qui ressortent dans ton travail ? (anciennes ou récentes). Comment te nourrissent-elles ton travail ?

Mon travail fait évidemment référence à la peinture ancienne : des artiste comme Dürer, Hals, Velasquez, Watteau, Courbet, Manet … sont des artistes qui m’ont beaucoup marqué et que j’ai beaucoup regardés. Il m’arrive, d’ailleurs, de faire des citations directes à certains tableaux que j’aime, même si je souhaite brouiller les pistes pour que le spectateur n’en perçoive qu’une image qui lui rappelle quelque chose dans l’inconscient. Je vais parfois utiliser seulement la construction géométrique d’une gravure de Dürer, par exemple, pour réaliser une huile qui n’a aucun rapport dans la représentation. Je suis d’ailleurs plus intéressé par des tableaux en particulier que par des artistes dans leur ensemble ; j’aime les « curiosités » d’un artiste, les choses qui sortent un peu de leurs habitudes. Le cinéma est aussi pour moi un élément de mon inspiration : les films de Brian de Palma, par exemple, me nourrissent, même si je n’en fais pas de citation directe (pour l’instant). J’aime le mélange du mystique et du trivial, cette chose qui existe d’ailleurs dans la peinture ancienne et que l’on se refuse souvent de voir aujourd’hui par je ne sais quel respect mal placé.

Ces références, heureusement, évoluent au fil du temps et celles qui restent les mêmes sont vues différemment.

Quels sont les artistes d’aujourd’hui que tu considères comme importants (même s’ils sont éloignés de ton travail) ?

Il y a en ce moment beaucoup d’artistes très intéressants, et finalement internet permet, contre toute attente, de faire des découvertes au-delà de ce qui se fait en France, qui est souvent autocentrée.

Dans le domaine de la peinture, des artistes, comme John Currin, Neo Rauch, Gérard Garouste, David Hockney m’intéressent beaucoup. J’aime aussi beaucoup le travail de Léopold Rabus, parmi les plus jeunes. Depuis quelque temps je regarde plus la sculpture et les installations, dernièrement l’artiste Vanessa Fanuele m’a fait découvrir des artistes comme Mark Dion ou Nick van Woert, qui me plaisent justement par leur rapport à l’archéologie. Je vais voir souvent les expositions dans les galeries, et là aussi ce sont certaines pièces en particulier qui me marquent plutôt que la totalité d’un travail.

Mon regard …

Une fois par an environ, je me rends dans l’atelier de l’artiste pour découvrir sa dernière série d’oeuvres. A chaque fois je me laisse emporter par la richesse de leur sujet et de leur matière: leur aspect onirique, leur narration complexe, dans laquelle pourtant j’éprouve toujours une sensation de familiarité, les sauts d’échelle, les changements de rythme, le mélange de hâte et de préciosité de la facture. Ses gravures forment également un univers à part entière, denses, surprenantes, précises et indéchiffrables comme le sont les rêves.

Légendes des images

Les délassements de la campagne 2, 2013, huile sur toile.
Yeux, série Damien, 2014, huile sur toile, 81 x 65 cm.
Abel Pradalié dans son atelier.
Les délassements de la campagne 1, 2013, huile sur toile, 81 x 65 cm.